Contamination par les moisissures des maisons utilisées pour la culture de marijuana

(Mise à jour de l’article paru le 17 juillet 2007 et modifié le 15 juillet 2013)

Source : Marie-Alix Halewyn1

Au cours des dernières années, la culture du cannabis, aussi appelé marijuana, a connu un essor considérable à travers le pays. Compte tenu du climat plutôt froid au Québec, la culture réalisée à l’aide d’installations intérieures revêt davantage d’attrait chez les contrevenants. Plus productives et plus discrètes, ces installations permettent aux producteurs résidentiels de réaliser de trois à quatre cycles de récolte par année, contre un seul en milieu naturel.

Ainsi, entre 1981 et 2004, le nombre de dossiers d’infraction de production de marijuana au Québec a augmenté de 460 %. En 2004, les types de plantation se répartissaient comme suit : 47 % à l’intérieur d’habitations, 34 % en terrain boisé et 19 % sur des terres agricoles. Selon les statistiques des différents corps policiers du Québec, il y aurait eu depuis l’an 2000 plusieurs milliers de maisons de culture de cannabis au Québec. Une forte proportion de ces habitations se retrouverait sur le territoire comprenant Montréal, Laval, Lanaudière et Laurentides.

Par ailleurs, différents corps policiers au Québec ont saisi pour 2007-2008 près de 30 000 plants et boutures en plus de 781 652 plants saisis dans le cadre des programmes Cisaille et Boutures2.

Une production lucrative

Un plant de cannabis mature vaut sur le marché de la revente entre 1 000 $ et 1 500 $, ce qui rend la production lucrative. En huit ans, le taux de la substance psychoactive du cannabis produit au Québec, le tétrahydrocannabinol (ou THC), est passé de 5,5 % à 11,5 %, faisant ainsi du pot québécois un produit fort convoité. De plus, il est relativement facile de faire croître de 200 à 900 plants (moyenne : 300 à 500) dans un sous-sol de maison bien équipé, et ce, dans un délai de quatre mois seulement.

Conditions propices à la contamination fongique

Les cultures de cannabis entreprises à l’intérieur peuvent été effectuées dans une série de récipients contenant du terreau souvent irrigués par des systèmes automatisés. Elles peuvent aussi être réalisées à l’aide de systèmes hydroponique ou aéroponique plus sophistiqués. Le système hydroponique en circuit fermé permet aux racines d’être en contact permanent avec une solution nutritive complète, tandis qu’avec le système aéroponique, elles sont en contact avec l’air et une bruine de solution nutritive est vaporisée par des diffuseurs. La présence de ces systèmes à l’intérieur engendre de hauts taux d’humidité relative, variant de 40 % à 90 % (la plupart du temps autour de 85 %). De plus, la culture du cannabis exige un éclairage puissant (jusqu’à 60 lampes de 1 000 W) ainsi que des températures élevées variant de 25 °C à 28 °C. Ces conditions de température et d’humidité, optimales à la culture de la marijuana, le sont également pour la propagation des moisissures.

Les moisissures sont des organismes vivants qui croissent naturellement dans l’environnement extérieur. Elles peuvent être véhiculées de l’extérieur vers l’intérieur par les déplacements d’air et les allées et venues des humains ou des animaux. Pour se développer et se multiplier, elles requièrent la présence de conditions environnementales appropriées (taux d’humidité, température) et de nutriments, tels ceux présents dans les matériaux de construction (cellulose du bois et du papier). Or, comme nous l’avons vu, l’ensemble de ces conditions sont réunies dans les maisons servant de lieu de culture de marijuana.

Impacts de la contamination fongique sur le bâtiment et la santé des occupants

Mis à part les explosions dues aux solvants utilisés pour la fabrication d’huile de marijuana ou les incendies causés par des défaillances électriques, l’humidité élevée maintenue sur de longues périodes est l’élément occasionnant le plus de dommages au bâtiment. Les forts taux d’humidité entraînent la pourriture des matériaux de construction et la prolifération des moisissures. Une contamination fongique de forte ampleur est associée à des problèmes de santé éventuels chez les occupants. Ceux-ci peuvent s’avérer très sévères et aller de l’irritation des voies respiratoires, ou de l’exacerbation de l’asthme, jusqu’à des symptômes plus importants chez des personnes fragiles. En effet, les sujets présentant des facteurs de risque, telles des maladies respiratoires chroniques ou une immunité défaillante, peuvent développer des mycotoxicoses, des pneumonites d’hypersensibilité, voire des infections respiratoires ou systémiques.

La décontamination d’une habitation infestée par les moisissures est parfois possible mais onéreuse. En effet, selon le Bureau des assurances du Canada, le coût moyen d’une décontamination efficace dans les cas d’infestation fongique majeure est d’environ 40 000 $. Cependant, après deux ou trois cycles de récolte, il y a peu à faire pour épargner la maison infestée sinon d’avoir recours, dans les pires cas, à la destruction même des lieux.

On comprend ainsi aisément pourquoi les contrevenants opteront d’abord pour le masquage des parties atteintes. Dans certains cas, les murs affectés seront repeints ou même remplacés. Ces travaux peuvent masquer temporairement les problèmes occasionnés par l’humidité chronique, mais ils n’éliminent généralement pas la moisissure, puisque l’humidité accumulée dans les structures refait fréquemment surface dans les matériaux, qu’ils soient neufs ou maquillés.

Indices susceptibles de révéler une maison de culture

Les lieux de culture de marijuana peuvent être multiples (chalet, appartement, maison de banlieue, etc.) et dispersés sur l’ensemble du territoire québécois. À l’intérieur de l’habitation, divers indices liés à un haut taux d’humidité maintenu sur une longue période peuvent servir à éveiller des soupçons lorsque la propriété a été maquillée à des fins de revente. Il s’agit du taux d’humidité relative, de trous colmatés, dans le plafond et le plancher des placards, de petits morceaux déchirés de papier d’aluminium tenus par des agrafes, de conduits de cheminée non connectés dans le comble (l’entretoit), d’odeurs (parfois masquées par des parfums), de moisissures visibles, de gonflement des murs en panneaux de gypse, de boiseries noircies ou de tâches circulaires sur le plancher. La présence de tels signes n’est parfois pas suffisante, lors d’une visite des lieux, pour éveiller le doute chez l’acheteur inexpérimenté. Les problèmes peuvent ainsi s’avérer difficiles à détecter avant l’achat. Ces vices dissimulés peuvent demeurer jusqu’à ce que les nouveaux occupants aient à entreprendre des travaux nécessitant l’ouverture des murs. À ce moment, l’ampleur du problème peut alors s’avérer désastreuse.

D’autres indices révélateurs sont visibles de l’extérieur, tels que fenêtres barricadées, présence de nombreux ventilateurs sur le toit, d’un mât électrique modifié ou très récent, de fils électriques entrant directement par la fenêtre (sans passer par le compteur électrique), ou encore d’un compteur dont le sceau d’Hydro-Québec a été brisé. L’hiver, la formation de glace à la sortie de la cheminée, des ventilateurs de la cuisine et de la salle de bains, de même que la condensation et le givre excessif sur les fenêtres, témoignent d’un taux d’humidité anormalement élevé. Enfin, la présence de condensation et surtout de moisissures sur les parois froides, tel le mur du côté nord, sont autant d’indices à considérer.

Contexte légal

Le fait que les maisons de culture soient le plus souvent revendues en mauvais état à l’insu des nouveaux occupants comporte donc, en plus des pertes financières (dévaluation foncière, coût de décontamination), des risques sérieux pour la santé. Le contexte légal complique toutefois la prévention de ces ventes frauduleuses.

En fait, les aspects légaux en lien avec la culture de marijuana font intervenir les notions de bien infractionnel et de produit de la criminalité. Une maison de culture est considérée comme un bien infractionnel puisqu’elle a servi à accomplir un acte illégal. Par ailleurs, le véhicule du contrevenant et son compte bancaire peuvent constituer des produits de la criminalité, s’il est reconnu qu’ils sont issus des profits du crime, fait souvent difficile à prouver. Cette nuance devient importante, puisque la maison de culture ayant servi à commettre le crime devient saisissable si le contrevenant en est le propriétaire. Par ailleurs, il ne s’avère pas toujours possible d’identifier les coupables ni même les propriétaires, ou encore d’intervenir à temps.

À la suite d’une perquisition dans une maison de culture, les policiers peuvent porter des accusations et demander une ordonnance de blocage, ce qui interdit légalement à toute personne de se départir de l’immeuble concerné ou d’effectuer une transaction sur ce dernier. Bien que l’ordonnance soit toujours communiquée à l’accusé, au propriétaire de l’immeuble, à la municipalité et aux créanciers hypothécaires, les délais, aussi courts soient-ils, sont parfois suffisants pour permettre aux contrevenants de procéder au maquillage de la maison et à sa revente, parfois avec la complicité d’un courtier immobilier mal intentionné. L’ordonnance de blocage est également publiée au Bureau de la publicité des droits, mais avec un délai d’une ou deux semaines après son émission, ce qui laisse place aux transactions illicites. À l’heure actuelle, l’OACIQ et la Sûreté du Québec conseillent aux courtiers immobiliers, aux acheteurs ou aux intervenants de santé publique qui désirent obtenir de l’information sur une maison à ce sujet, de s’adresser directement au greffe du palais de justice de la région concernée, en matière criminelle.

Mise en place d’un registre

Les délais de déclaration des cas et la multiplicité des sources de renseignements rendent les acheteurs potentiels ainsi que les courtiers immobiliers qui les représentent, vulnérables aux transactions frauduleuses. L’Organisme d’autoréglementation du courtage immobilier du Québec (OACIQ) considère cette situation inacceptable, et réclame que ses titulaires de permis aient accès à un registre unique qui comprendrait l’ensemble des maisons ayant fait l’objet d’une perquisition. L’existence d’un tel outil permettrait à l’agence ou au courtier immobilier de pouvoir informer l’acheteur potentiel, et ce, en temps réel.

Importance du partenariat

En plus d’être conscients des difficultés légales en lien avec ce dossier, plusieurs intervenants sont préoccupés par les problèmes de santé associés à la présence de moisissures dans ces maisons et souhaitent mettre en place un partenariat afin de trouver un modus operandi qui permettrait d’identifier efficacement les maisons insalubres et d’en empêcher la vente ou la location. À ce jour, plusieurs actions ont permis de sensibiliser les intervenants aux avantages d’un tel partenariat.

Colloque de l’Association des courtiers et agents immobiliers du Québec (ACAIQ)

En plus d’informer régulièrement ses titulaires de permis, l’ACAIQ (ancien nom de l’OACIQ) avait organisé, à l’automne 2005, un colloque sur les différentes facettes du problème associé aux maisons de culture. Lors de cet échange d’information, l’association avait invité des représentants des ministères de la Santé et des Services sociaux, de la Sécurité publique et de la Justice, des corps policiers, des inspecteurs en bâtiment, des institutions financières, des assureurs ainsi que les courtiers immobiliers. Les deux principaux objectifs étaient l’arrimage pour mieux faire face à ce problème et l’information du grand public. Il s’agissait d’une première au Canada. Le colloque a fait l’objet d’une importante couverture médiatique et, ce faisant, a contribué à sensibiliser un vaste public à ce que d’aucuns considèrent maintenant comme un véritable fléau.

Rencontre avec la Sûreté du Québec (SQ)

La Sûreté du Québec a mis sur pied en 1999 un programme pour lutter contre l’expansion de la production et du trafic de marijuana. Ce programme, appelé Opération Cisaille, vise principalement la déstabilisation des organisations criminelles qui dirigent les activités de production et de distribution de marijuana. Même si les efforts de cette escouade spéciale ont porté leurs fruits et que les saisies dans les champs ont dépassé 700 000 plants en 2005 et 781 652 plants au cours de la période 2007-2008, les policiers sont conscients de l’importance du partenariat, notamment avec la santé publique, pour faire face au nombre grandissant de maisons de culture et à la menace qu’elles représentent pour la santé des futurs occupants. Selon eux, les maisons perquisitionnées lors de l’opération ayant servi de lieu de culture sur des périodes allant de deux à cinq ans sont entièrement contaminées par les moisissures.

Conscients des enjeux sociaux et des effets néfastes sur la santé, la Sûreté du Québec a jugé pertinent de sensibiliser la Table nationale de concertation en santé environnementale (TNCSE), qui regroupe notamment un représentant en santé environnementale de chacune des régions sociosanitaires, à l’ampleur de ce phénomène au Québec. Considérant qu’il s’agit d’un risque à la santé touchant plusieurs individus, les policiers sollicitent l’aide de la santé publique afin de trouver une solution fonctionnelle pour limiter la revente et la location des maisons contaminées. Les solutions potentielles sont actuellement à l’étude.

Conclusion

Au cours des dernières années, la culture de la marijuana à l’intérieur d’habitations a connu un essor considérable au Québec. Les conditions environnementales qui règnent dans les maisons de culture (température et humidité élevées, présence de matières organiques) sont propices à la prolifération des moisissures. L’ampleur des contaminations fongiques observée dans ces milieux constitue un risque pour la santé des éventuels occupants. Le contexte légal actuel rend toutefois difficile la prévention des transactions frauduleuses. La solution pourrait passer par la mise en place d’un registre des maisons ayant fait l’objet d’une perquisition et par le développement de partenariats. À ce chapitre, la collaboration des intervenants de santé publique pourrait s’avérer bénéfique à la résolution du problème.

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1 Source : Marie-Alix Halewyn, Direction des risques biologiques, environnementaux et occupationnels, Institut national de santé publique du Québec, 190, boulevard Crémazie Est, Montréal (Québec) H2P 1E2
Téléphone : 514 864-1600, poste 3204
Télécopieur : 514 864-7646

2 Bilan 2007-2008 des efforts québécois de lutte contre le crime organisé - Direction de la prévention et de la lutte contre la criminalité - Ministère de la Sécurité publique.

Pour en savoir plus, lire les articles suivants :
- Les maisons de culture du cannabis : des indices à ne pas négliger
- Facteurs pouvant affecter la décision d’un acheteur
- Maisons de culture de marijuana à vendre – Les précautions à prendre

Le bulletin d’information en santé environnementale sur cette problématique peut être consulté à cette adresse : http://www.inspq.qc.ca/bise/post/2006/12/14/Contamination-des-maisons-utilisees-pour-la-culture-de-marijuana-par-les-moisissures.aspx

Dernière mise à jour : 01 avril 2015
Numéro d'article : 123349