Inaptitude du client en cours de contrat de courtage

Les devoirs de diligence et de compétence du courtier impliquent qu’il doit agir dans le meilleur intérêt de son client, suivre ses instructions et lui fournir toutes les explications nécessaires à la compréhension de ses services1.

Or, comment un courtier doit-il s’acquitter de ses devoirs déontologiques lorsqu’il a des motifs sérieux de douter de l’aptitude de son client en cours de contrat de courtage?


Cadre réglementaire et jurisprudentiel

L’article 30 du Règlement sur les conditions d’exercice d’une opération de courtage, sur la déontologie des courtiers et sur la publicité (chapitre C-73.2, r. 1) prévoit l’obligation du titulaire de permis de vérifier et de s’assurer de la capacité juridique de la partie qu’il représente (ou de son représentant) pour effectuer la transaction envisagée ainsi que de celle des autres parties à la transaction, si ces dernières ne sont pas représentées par un titulaire d’un permis de l’OACIQ. Lorsque son client est sous un régime de protection, le courtier doit suivre les instructions du représentant légal de celui-ci.

Or, même si le client semble avoir la capacité juridique de réaliser une transaction immobilière, certains de ses gestes ou de ses propos ou encore un comportement atypique pourraient semer un doute quant à son aptitude factuelle à exprimer un consentement valide et comprendre les conséquences qu’entraîne l’acte de vente d’une propriété. Ces signes pourraient se manifester en cours de contrat.

« Il peut s’agir de personnes souffrant d’une aliénation, d’une aberration mentale, d’une faiblesse d’esprit, qui sont sous l’effet de la drogue ou de l’alcool au moment où elles s’engagent ou simplement de personnes qui sont sous le choc, assommées et anéanties lors de la transaction, mais qui n’ont cependant jamais fait l’objet d’un jugement limitant leur capacité ou les plaçant sous la protection de la loi. Un simple inconfort psychologique ne constitue toutefois pas un motif suffisant pour vicier le consentement. »2

Les professionnels doivent faire attention aux signes précurseurs tels que la perte de mémoire à court terme, les problèmes de communication (répétition des phrases, recherche des mots) ou de calcul, la désorientation, etc. Pour ce qui est des signes émotifs, on peut noter l’agressivité ou les comportements inappropriés. En ce qui concerne les signes comportementaux, il pourrait y avoir, entre autres, des périodes de délire, des hallucinations, une hygiène déficiente3. Cependant, il faut porter une attention particulière aux personnes du troisième âge chez qui les pertes de mémoire ne sont pas forcément des signes d’inaptitude. Par ailleurs, certaines personnes aux prises avec une perte auditive ou visuelle peuvent ne pas être confortables à le mentionner. 

 

Obligations du courtier

Le courtier ne peut pas faire preuve d’aveuglement volontaire lorsqu’une personne devant lui n’a manifestement pas tous ses moyens. Dans un tel cas, le comportement négligent de la part du professionnel pourrait entraîner sa responsabilité4.

Certes, l’aptitude d’une personne peut varier dans le temps et selon les sujets soulevés. En cas de doute, le courtier doit agir avec une grande prudence en vérifiant, de façon ponctuelle, les capacités de son client non seulement à communiquer et à manifester ses désirs, mais également à comprendre les informations et les enjeux de même que les conséquences de ses choix.  

Il est extrêmement délicat pour le courtier de se prononcer sur l’aptitude de son client, particulièrement dans le contexte où ses contacts se limitent généralement à une courte période, ce qui l’empêche d’évaluer la source du comportement de son client.

Le courtier représentant une agence doit faire part de ses préoccupations au dirigeant de cette agence afin de déterminer ensemble les actions qui s’imposent dans les circonstances.

Cependant, il est conseillé d’aborder avec le client, de façon respectueuse, sa situation et de lui recommander de consulter des sources d’information sur les différents moyens de se faire aider, par exemple les sites d’Éducaloi (www.educaloi.qc.ca), du Barreau (www.barreau.qc.ca), du Curateur public (www.curateur.gouv.qc.ca) et de la Chambre des notaires (www.cnq.org).

Dans certaines situations, on peut offrir au client d’être accompagné d’une personne de confiance avec laquelle le courtier pourra communiquer dans les cas déterminés à l’avance avec son client. Il est préférable qu’une telle personne n’ait pas d’intérêt dans les biens du client. La personne de confiance ne peut cependant prendre de décisions à la place du client ni agir en son nom.

Il est aussi important de respecter le rythme du client en situation de vulnérabilité et de faire preuve de patience, en s’assurant de sa compréhension des explications qui lui sont données5.

 

Important : Le fait d’avoir de sérieux doutes quant à l’aptitude d’un client ne modifie ni ne diminue en rien les devoirs déontologiques du titulaire de permis.  

Enfin, le courtier peut suggérer à son client de mettre la propriété hors marché pour un certain temps ou jusqu’à l’expiration du contrat de courtage, et ce, afin de préserver les intérêts de son client. La mise hors marché ne met pas fin au contrat de courtage, mais certaines obligations du courtier sont alors suspendues. Des explications doivent être fournies au client à cet égard (voir l’article intitulé : Propriété mise hors marché, résiliation de contrat et propriété temporairement non disponible : des concepts à ne pas confondre).

La solution plus radicale consiste à résilier le contrat de courtage avant son terme. En optant pour cette solution, il faut faire preuve de prudence et consulter préalablement un conseiller juridique, car cela peut avoir des conséquences quant à la responsabilité professionnelle du courtier.  

 

1 - Art. 62 et 78 du Règlement sur les conditions d’exercice d’une opération de courtage, sur la déontologie des courtiers et sur la publicité (chapitre C-73.2, r. 1).

2 - V. KARIM, Les obligations, Éditions Wilson & Lafleur, 3e édition, 2009, p. 313.

3 - G. LeBRUN et M. SHEEHAN, Alzheimer, troubles cognitifs et vieillissement : l’impact sur la responsabilité professionnelle, dans Développement récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire (2014), Barreau du Québec – Service de la Formation continue, Cowansville, Y. Blais, volume 384, p. 34.

4 - Bertrand c. Opération Enfant Soleil, 2004 CanLII 20540 (QCCA) précitée.

5 - Protéger un client en situation de vulnérabilité - Guide pratique pour l’industrie des services financiers, Autorité des marchés financiers, www.lautorite.qc.ca.

Dernière mise à jour : 22 décembre 2020
Numéro d'article : 208333